A Mulhouse, Auchan révise à la baisse ses prix et les avantages de ses salariés

 

Tous les trois mois, Eric M., chauffeur de taxi à Mulhouse, en Alsace, va "faire le plein" chez un maxidiscompteur allemand. "Ce n'est qu'à 25 minutes d'ici, dit-il, et ça vaut vraiment le coup. Les prix, c'est de la folie en Allemagne ! Surtout pour les produits d'entretien ou les cosmétiques pour ma femme. La laque vaut 3 euros là-bas contre 8 à 9 euros ici."

Comme des centaines de résidents de Mulhouse et de ses environs, il apprécie les prix ultracompétitifs des magasins allemands. Dans une région industrielle où le chômage flirte avec les 17 %, remplir son chariot à moindre prix est une préoccupation, qui, avec la crise, s'est transformée en nécessité.

Dans ce contexte, les distributeurs français se livrent une bataille acharnée à Mulhouse. Dans cette partie, Auchan pense avoir dévoilé, mercredi 24 mars, un atout maître en ouvrant dans le quartier populaire de Bourtzwiller sa nouvelle enseigne Prixbas et son logo rose fluo. Un hypermarché discompte inspiré, en grande partie, du modèle que le groupe a développé en Russie.

A quelques kilomètres d'un centre commercial Cora et d'un hypermarché Carrefour, la stratégie de ce magasin d'un nouveau genre est simple : proposer une offre aussi large que dans un hypermarché classique (avec 20 000 références dans l'alimentaire et le non-alimentaire sur une surface de 6 000 mètres carrés). Mais avec une offre discompte. Exemple : un robot-mixeur à 5,54 euros ou deux côtes de porc sans os à 53 centimes. Sans promotion, ces "prix bas" sont proposés toute l'année grâce à une large représentation de produits dits "premiers prix".

Mais, à la différence d'un maxidiscompteur, les grandes marques sont aussi présentes. "Nous n'avons pas voulu paupériser la région", indique Eric Galant, directeur Auchan pour la région Est.

Pour le groupe, il s'agit ainsi d'offrir une seconde chance au magasin Auchan de Bourtzwiller, en déroute. Entre 2004 et 2008, le site a perdu 285 000 clients pour un chiffre d'affaires en recul de 16 %. Et depuis 2008, les pertes s'accumulent. Pour les élus, l'émergence de Prixbas est un soulagement.

"C'était ça ou la fermeture", selon Jean Rottner, premier adjoint (UMP) au maire de Mulhouse. Mais "l'on reste vigilant", dit-il. "Le pari n'est pas encore gagné", renchérit-t-on au sein de la chambre de commerce Sud Alsace Mulhouse. Le défi d'Auchan ne peut être relevé que si la situation financière du magasin s'améliore. Autrement dit, si les ventes se redressent nettement et que les économies se multiplient.

Et sur ce volet, Prixbas applique une méthode assez radicale. Les frais de publicité sont réduits à minima tout comme les frais de personnel. Exit les produits nécessitant un service à la coupe de boucherie ou de fromagerie ou des conseillers, comme pour l'électroménager. Tout est en libre-service. Le stockage et la logistique sont réduits à leur strict minimum et les produits présentés directement dans les emballages du fabricant.

Résultat, une trentaine des 238 employés du magasin ont dû être reclassés dans d'autres entités du groupe. Et si Auchan s'est engagé à respecter une politique de "zéro licenciement", d'autres départs de ce type ne sont pas exclus.

Quant au personnel restant, un effort est réclamé. Dans quinze mois, ces salariés d'Auchan deviendront des salariés de Prixbas, avec un nouveau statut et des avantages sans doute revus à la baisse. Les négociations vont débuter dans quelques jours pour en définir les modalités, indique M. Galant.

Mais déjà les syndicats s'inquiètent. "Les primes, la participation salariale via ValAuchan, le treizième mois et les réductions de 10 % sur les achats en magasin pourraient fondre. Au total, les salariés perdraient l'équivalent de deux à trois mois de salaire", calcule Gerald Villeroy, délégué central CGT Auchan. Le représentant des salariés s'alarme d'autant plus que, selon lui, "Prixbas sert de laboratoire à Auchan. Ensuite, dès qu'un magasin marchera moins bien, on mettra en place ce système au détriment des salariés".

Des inquiétudes balayées par le groupe qui martèle que, pour l'heure, "Prixbas est une réponse locale à un problème local" et qu'il n'est pas question de lancer une chaîne d'hypermarchés maxidiscomptes. Pas question non plus de tirer un trait sur l'hypermarché traditionnel. "On y croit encore !", assure la porte-parole d'Auchan. Pour preuve, l'ouverture, jeudi, d'un nouvel hyper au Kremlin-Bicêtre, en région parisienne ; le premier depuis dix ans et la création de celui de Val d'Europe.

Prixbas est-il ainsi destiné à rester un cas isolé ? Le groupe n'en est pas à sa première innovation classée sans suite. Pour autant, selon les experts, Prixbas a des allures "d'hypermarché du futur". "L'avenir des hypers en France passe par une offre de prix réellement attractive. Ce sera sans doute le seul moyen de faire déplacer les consommateurs dans ces magasins", estime Yahya Daraaoui, président du cabinet de conseil Alix Partner en France. Selon lui, les clients sont, depuis la crise, de plus en plus focalisés sur le prix, et le resteront. "C'est une tendance structurelle", indique M. Daraaoui.

Claire Gatinois


24/03/2010
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